La rue, mes loubards

Guy Gilbert, prêtre

L’église débordait de potes, certains avaient même le pétard à la bouche à l'entrée ! Un mec de ma bande de loubards était mort d'un accident de moto.

Je voyais toutes ces mains qui s'accrochaient au cercueil, avant qu'on le ferme. Suivaient les commentaires plus ou moins fleuris des gars qui étaient là: « Tu te souviens des gonzesses qu'on a draguées ensemble ? Tu te souviens de ces bitures ? » 

« Écoute, je me souviens de tout ce que tu as vécu de beau et de bon. Je me souviens surtout que tu cherchais l'amour et que tu ne l'as pas trouvé. Tu vivais dans la violence parce que tu ne pouvais pas faire autrement. Tu es dans l'amour absolu maintenant et je te retrouverai un jour. »

Dire cela devant toute la bande dans un silence absolu, c’était une magnifique prière. C'était leur dire, sans le préciser, que la résurrection, j'y crois plus que tout. Ça m’a permis de constater une certaine sérénité dans les regards. Que j'aie proclamé avec force que leur pote était vivant a permis à des jeunes de prendre le risque de croire que tout n’était pas fini. Même si, hors du cimetière, les pétards avaient réapparu !

Prions...
Je suis devant mes loubards comme l'archéologue cherchant avec ses mains le trésor enfoui. Je gratte sans me lasser, sans peur, sans inquiétude. Mes mains parfois s'écorchent, sont à vif, mais je continue tant l'espoir affleure au bout de mes doigts. C'est toujours à ces moments-là que le bulldozer de la foi agit, venant du côté où je ne l'attendais pas.

La Bergerie de Faucon est
une association, fondée
par Guy Gilbert, qui accueille
des jeunes en réinsertion et
leur permet de travailler
auprès des animaux, au sein
d'une exploitation agricole

Si je ne croyais pas à la formidable présence de Jésus-Christ dans ma vie et dans mon action, à son côté perceur de murailles et défonceur d'obstacles, il y a longtemps que le désespoir de la rue m'aurait gagné. On ne vit pas dans la violence, la haine, l’inquiétude à fleur de peau sans qu’elles vous atteignent. Dieu seul, nageant dans les eaux immensément calmes de l'Amour, de la Sérénité, de la Paix, reste la bouée que j'attrape dès que j'en sens la nécessité. Elle est toujours à la portée de ma main.
Je le sais, j'en use et j'en abuse impunément.

Prions...

Extrait du livre: Mes plus belles prières, Guy Gilbert, Éd. Philippe Rey, 2008, p. 313-314