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Cursillo > Histoire > II. Le virage du 7 janvier 1949

La montée au Calvaire

45.      En 1955, six ans après le Cursillo de St-Honoré, Mgr Hervás, sans motif apparent, fut changé de diocèse: on le transféra à Ciudad Real, au centre de l'Espagne. Que s'est-il passé? Une bien triste histoire. Nous avons vu plus haut (# 34) que le Mouvement subissait parfois des turbulences. Celle-ci Le Christ dans la tempête au lac Génésareth, par Rembrandtfut la plus grave qu'il eut à affronter. Voici comment tout a commencé. Parmi ceux qui critiquaient le Mouvement, l'un des plus virulents était le supérieur du séminaire de Palma, dont Mgr Hervás était l'évêque. Voyant qu'il ne pouvait faire taire le recteur, Mgr Hervás le destitua de sa charge. Or, celui-ci appartenait à une famille très riche et très influente d'Espagne, et il jura à Mgr Hervás de lui faire perdre son poste. Il y réussit, car Mgr Hervás, peu de temps après, était exilé à Ciudad Real. On nomma à Palma un nouvel évêque, Mgr Enciso, ami du recteur. Son premier geste fut de publier, le 25 août 1956, une lettre pastorale pour mettre en garde les diocésains contre le Mouvement des Cursillos. À toutes fins pratiques, il le mettait hors la loi en prohibant tout genre de réunions. Commencèrent alors des années de silence et de souffrance.

46.      Eduardo Bonnín, la mort dans l'âme, se rendit chez l'évêque et, respectueusement, lui posa la question suivante: «Si un évêque affirme que j'ai été à telle date dans tel pays, et que c'est faux, est-ce que mon devoir en tant que catholique c'est de dire que c'est vrai?». Évidemment, l'évêque dut avouer que non. Alors Eduardo reprit: «Monseigneur, ce que vous avez écrit des Cursillos n'est pas vrai». À quoi l'évêque lui répondit: «Je m'en tiens à ce que j'ai écrit!» Ce qui ressemble étrangement au Quod scripsi, scripsi de Pilate... Et il le renvoya.

47.      La première victime de l'interdit de Mgr Enciso fut le directeur du Collège La Salle, le fr. Miguel. Il crut de son devoir d'écrire une lettre à l'évêque pour lui faire connaître les fruits extraordinaires des Cursillos dans son collège. La réponse ne se fit pas attendre: expulsion du diocèse! Avant de se rendre au quai pour prendre le bateau, le fr. Miguel, accompagné d'un groupe de cursillistes, passèrent devant l'évêché pour y lire le passage d'évangile où le Christ dit à ses apôtres que «si l'on vous chasse d'une ville, secouez la poussière de vos sandales et continuez votre route». Aussitôt, le fr. Miguel enlève ses souliers et les secoue contre la pierre séculaire, les yeux mouillés de larmes.

48.      La seconde victime fut l'abbé Francisco Suárez, prêtre du diocèse de Majorque qui s’était exilé à Ciudad Real avec Mgr Hervás mais qui revenait prendre ses vacances sur l'île. Dès sa première homélie, il osa affirmer — ce qui était vrai — que la pastorale de Mgr Enciso n'avait aucune juridiction en dehors du diocèse... L'évêque réagit immédiatement en suspendant l'abbé Suárez a divinis, c'est-à-dire qu'il ne pouvait plus exercer de ministère à Palma, ni même célébrer la messe. L'abbé Suárez, expert canoniste, sut déjouer l'interdiction en allant célébrer à la caserne militaire, non soumise à la juridiction de Mgr Enciso.

49.      La lettre pastorale avait donc engendré une série de départs des prêtres, dont Sebastián Gayá lui-même et Juan Capó, qui suivirent Mgr Hervás sur le continent, et d'autres qui se rendirent jusqu'en Amérique du Sud, notamment au Pérou. Cette diaspora, finalement, aura accéléré grandement l'expansion territoriale du Mouvement. Mais on imagine sans peine le désarroi des laïcs en voyant partir de l'île tant de prêtres cursillistes. Très vite, ils se réunirent autour d'Eduardo et inventèrent une nouvelle stratégie. Il faut se rappeler que nous sommes sous le régime du dictateur Franco et que, par conséquent, il ne pouvait y avoir aucune réunion publique si elle n'était pas autorisée par l'Église. Mgr Enciso ayant suspendu le MC, il ne pouvait plus y avoir ni Ultreyas, ni École de formation, ni réunions de secrétariat, ni même de Cursillos; la loi interdisait toute réunion supérieure à six personnes, même dans les maisons privées!

50.      Mais Eduardo se rend compte immédiatement que ce chiffre «6» est une bénédiction puisqu'il laisse la possibilité des réunions de groupe. À partir de là, il va inventer une stratégie pour réaliser une Ultreya sans réunion! Voici comment on procéda. La Grand’Place de Palma est formée d'un rectangle avec colonnades où se trouvent de nombreux cafés. Si chaque réunion de groupe arrivait sur la Place à la même heure et occupait l'une des tables pour faire sa réunion, il suffirait seulement de faire le déplacement entre les tables pour communiquer de groupes en groupes. C'était alors un spectable étonnant, raconte Forteza (p. 146), de voir la précision avec laquelle deux personnes sur six se levaient de table et allaient saluer les membres d'une autre table où, automatiquement, deux personnes se levaient pour se rendre plus loin, jusqu'à terminer le tour complet. Pendant ce temps, deux animateurs se promenaient sous la colonnade pour voir si un groupe avait besoin d'aide; ou encore si quelqu'un voulait se confesser, on le dirigeait à l'endroit convenu où attendait un prêtre. Le succès de ces Ultreyas «champêtres», comme on les appelait, fut tel qu'il devenait parfois difficile de trouver des chaises disponibles, à la grande satisfaction des propriétaires, mais au grand dam des commis qui ne savaient plus où donner de la tête car leurs clients changeaient de tables continuellement!

51.      Après cette heureuse expérience, on se demandait comment organiser aussi des Cursillos, puisque plusieurs candidats étaient en attente. Eduardo en vint à créer un schéma de Cursillo «un par un», qui ne pouvait servir évidemment que dans un moment de crise comme il s’en vivait alors. On commençait par une messe matinale dans la chapelle des capucins, où se retrouvait toute l'équipe et le candidat, ainsi qu'un nombre de cursillistes qui assistaient comme de simples fidèles. Après le déjeuner pris dans un café voisin, le premier rolliste restait seul avec le candidat et donnait son rollo, forcément dialogué. Puis, il le conduisait au bureau ou à la résidence du rolliste suivant. Les repas se prenaient au restaurant avec plusieurs membres de l'équipe, en essayant d'y reproduire le climat joyeux d'un vrai Cursillo. La collaboration du capucin François de Barcelone était précieuse. Pour la Clausura, on amenait le nouveau sur la Grand’Place pour l'Ultreya «champêtre». Comme ces Cursillos n'ont pas été numérotés, il est difficile de savoir combien se sont réalisés de cette façon. L'interdiction de Mgr Enciso va durer six ans: de 1956 jusqu'en 1962. Malade, Mgr Enciso sera transporté dans une clinique à Madrid, et un jour, il fera venir l'abbé Gayá à son chevet. Celui-ci m'a raconté combien la rencontre fut sincère et cordiale, malgré sa méfiance totalement justifiée. L’évêque s’empressa d’expliciter les raisons qui l’avait entraîné à s’occuper de la question des Cursillos et comment, par la suite, mieux informé, il voulait lui redonner, personnellement, toute sa confiance. Il reconnaisait en effet qu’il l’avait traité de façon injuste. Mgr Enciso mourut en 1965, sans pouvoir reprendre la direction du diocèse de Palma.

52.      La lettre pastorale de cet évêque n'aura pas eu que des conséquences néfastes. En effet, le premier à réagir fut Mgr Hervás qui s'empressa, à l'aide de collaborateurs, de rédiger un document étoffé qui répondait point par point à la lettre de Mgr Enciso. Il crut bon, avant de le faire imprimer, d'en parler au Nonce apostolique. Heureusement, car celui-ci, craignant la controverse, ne lui permit pas de le publier sous forme de livre. Mgr Hervás prit alors la décision d'en faire une Lettre pastorale pour son diocèse (ce qui ne demandait pas l'autorisation du Nonce). Elle était intitulée: «Les Cursillos, instrument de renouveau chrétien» (1957). C'est peut-être la plus longue lettre pastorale jamais publiée par un évêque: près de 500 pages! Elle contenait les chapitres suivants:

1) Genèse, essence et structure des Cursillos
2) Le vieux et le neuf dans l'Église
3) La doctrine du Mouvement
4) Les moyens et la technique du MC
5) Les prêtres et les laïcs dans le MC
Conclusion: Normes pastorales.
Cette Lettre est considérée à juste titre comme l'oeuvre la plus complète qu'on ait publiée jusqu'alors sur le Mouvement. C'est un texte fondateur qu'aucun cursilliste ne devrait ignorer... mais que malheureusement, personne n'a encore traduit en français! (10)

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(10) On trouvera, en annexe, un court extrait de cette lettre de Mgr Hervás.

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(Photo: Le Christ dans la tempête au lac Génésareth, par Rembrandt: imagesbible.com)