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Prière > Apprendre à prier > Choix de textes sur la prière > L'école de prière de Benoît XVI

Choix de textes sur la prière

Textes provenant d'auteurs spirituels ou extraits de documents officiels de l'Église

Benoit XVI

La contemplation
et la force de la prière

(2Cor 12, 1-10)

 

Catéchèse de Benoît XVI sur la prière dans
les lettres de St Paul
- l'école de prière (*) -32

en construction(à illustrer)

 

 

Chers frères et sœurs,

La rencontre quotidienne avec le Seigneur et la fréquentation des sacrements nous permettent d’ouvrir notre esprit et notre cœur à sa présence, à ses paroles et à son action. La prière n’est pas seulement la respiration de l’âme mais, pour utiliser une image, c’est aussi une oasis de paix où nous pouvons puiser l’eau qui nourrit notre vie spirituelle et transforme notre existence. Et Dieu nous attire à lui, nous fait monter la montagne de la sainteté pour que nous soyons toujours plus proches de lui, nous offrant lumières et consolations en chemin.

C’est l’expérience personnelle à laquelle saint Paul fait allusion au chapitre 12 de la seconde Lettre aux Corinthiens, sur laquelle je désire m’arrêter aujourd’hui. Face à ceux qui contestaient la légitimité de son apostolat, il ne fait pas tant la liste des communautés qu’il a fondées, ni des kilomètres qu’il a parcourus ; il ne se limite pas à rappeler les difficultés et les oppositions qu’il a dû affronter pour annoncer l’Evangile, mais il parle de sa relation au Seigneur, une relation si intense qu’elle est caractérisée par des moments d’extase, de contemplation profonde (cf. 2 Co 12, 1) ; il ne se vante donc pas de ce qu’il a fait, de sa propre force, de ses activités et de ses succès, mais il se vante de l’action de Dieu en lui et à travers lui. Il raconte, en effet, avec beaucoup de pudeur, le moment où il a vécu l’expérience particulière d’être ravi jusqu’au ciel de Dieu. Il rappelle que, quatorze ans avant l’envoi de la Lettre, « il fut ravi jusqu’au troisième ciel » (v. 2). Avec le langage et les modes de celui qui raconte ce qui ne peut pas être raconté, saint Paul parle même de cet événement à la troisième personne ; il affirme qu’un homme a été ravi dans le jardin de Dieu, au « paradis ». La contemplation est si profonde et intense que l’apôtre ne se souvient même pas du contenu de la révélation qu’il a reçue, mais il a gardé bien présentes à l’esprit la date et les circonstances dans lesquelles le Seigneur l’a saisi de manière quasiment totale et l’a attiré à lui, comme il l’avait fait sur la route de Damas au moment de sa conversion (cf. Ph 3, 12).

Saint Paul continue en disant que, justement pour ne pas s’enorgueillir des révélations qu’il a reçues, il porte en lui une « écharde » (2 Co 12, 7), une souffrance, et il supplie avec force le Ressuscité de le libérer de l’envoyé du Malin, de cette douloureuse écharde dans sa chair. Trois fois, raconte-t-il, j’ai prié instamment le Seigneur d’éloigner de moi cette épreuve. Et c’est dans cette situation, dans une contemplation profonde de Dieu, pendant laquelle il « entendit des paroles ineffables, qu'il n'est pas permis à un homme de redire » (v. 4), qu’il reçoit une réponse à sa supplication. Le Ressuscité lui adresse une parole claire et rassurante : « Ma grâce te suffit : car la puissance se déploie dans la faiblesse » (v. 9).

Le commentaire de ces paroles par saint Paul peut nous surprendre, mais il révèle comment il a compris ce que signifie être vraiment apôtre de l’Evangile. En effet, il s’exclame : « C'est pourquoi je me complais dans les faiblesses, dans les outrages, dans les détresses, dans les persécutions et les angoisses endurées pour le Christ ; car, lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort » (vv. 9b-10) ; cela veut dire qu’il ne se vante pas de ses actions, mais de l’activité du Christ qui agit justement dans sa faiblesse. Arrêtons-nous encore un moment sur ce fait qui est survenu dans les années où saint Paul vivait dans le silence et la contemplation, avant de commencer à parcourir l’Occident pour annoncer le Christ, parce que cette attitude d’humilité profonde et de confiance devant la manifestation de Dieu est fondamentale pour notre prière et pour notre vie, pour notre relation à Dieu et à nos propres faiblesses.

Avant tout, de quelles faiblesses l’apôtre parle-t-il ? Qu’est-ce que cette « écharde » dans la chair ? Nous ne le savons pas et il ne le dit pas, mais son attitude fait comprendre que toute difficulté dans notre « sequela » du Christ et dans notre témoignage à son Evangile peut être surmontée si nous nous ouvrons avec confiance à l’action du Seigneur. Saint Paul est bien conscient d’être un « serviteur inutile » (Lc 17, 10) - ce n’est pas lui qui a fait de grandes choses, mais le Seigneur - ; il est conscient d’être un « vase d’argile » (2 Co 4, 7) dans lequel Dieu dépose la richesse et la puissance de sa grâce. Dans ce moment de prière contemplative intense, saint Paul comprend clairement comment affronter et vivre chaque événement, et surtout la souffrance, la difficulté, la persécution : au moment où il expérimente sa propre faiblesse, se manifeste la puissance de Dieu qui n’abandonne pas, qui ne laisse pas seul, mais qui devient un soutien et une force. Certes, Paul aurait préféré être libéré de cette « écharde », de cette souffrance ; mais Dieu dit : « Non, elle est nécessaire pour toi. Tu auras suffisamment de grâce pour résister et faire ce qui doit être fait. Cela vaut aussi pour nous. Le Seigneur ne nous libère pas des maux, mais il nous aide à mûrir dans les souffrances, les difficultés, les persécutions. La foi nous dit donc que « même si notre homme extérieur s'en va en ruine, s’il y a de nombreuses difficultés, notre homme intérieur se renouvelle, mûrit de jour en jour, justement dans les épreuves » (cf. v. 16). L’apôtre communique aux chrétiens de Corinthe, et à nous aussi, que « la légère tribulation d'un instant nous prépare, jusqu'à l'excès, une masse éternelle de gloire » (v. 17). En réalité, humainement parlant, le poids des difficultés n’était pas léger, il était extrêmement lourd ; mais en comparaison avec l’amour de Dieu, avec la grandeur du fait d’être aimé par Dieu, il semble léger, si l’on sait que l’abondance de gloire qu’il nous prépare sera démesurée. Et donc, dans la mesure où notre union avec le Seigneur grandit et où notre prière se fait plus intense, nous allons nous aussi à l’essentiel et nous comprenons que ce n’est pas la puissance de nos moyens, de nos vertus, de nos capacités qui réalisent le Royaume de Dieu, mais c’est Dieu qui opère des merveilles, justement à travers notre faiblesse, notre inadéquation à la tâche. Nous devons donc avoir l’humilité de ne pas nous appuyer uniquement sur nous-mêmes, mais de travailler, avec l’aide du Seigneur, dans la vigne du Seigneur, nous remettant à lui comme de fragiles « vases d’argile ».

Saint Paul fait allusion à deux révélations particulières qui ont changé radicalement sa vie. La première, nous le savons, est la question bouleversante sur le chemin de Damas : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » (Ac 9, 4), question qui l’a amené à découvrir et à rencontrer le Christ vivant et présent, et à entendre son appel à être apôtre de son Evangile. La seconde, ce sont les paroles que le Seigneur lui a adressées dans l’expérience de prière contemplative sur laquelle nous réfléchissons maintenant : « Ma grâce te suffit ; ma force se manifeste pleinement dans la faiblesse ». La foi, la confiance dans l’action de Dieu, dans sa bonté qui ne nous abandonne pas, est la seule garantie de ne pas travailler en vain. Ainsi, la grâce du Seigneur a été la force qui a accompagné saint Paul dans ses efforts immenses pour diffuser l’Evangile, et son cœur est entré dans le cœur du Christ, le rendant ainsi capable de conduire les autres vers celui qui est mort et ressuscité pour nous.

Dans la prière, nous ouvrons donc notre esprit au Seigneur afin qu’il vienne habiter notre faiblesse et la transformer en force pour l’Evangile. Le verbe grec avec lequel Paul décrit cette présence du Seigneur dans sa fragile humanité est riche de signification : il utilise le mot episkenoo, que nous pourrions rendre par « poser sa tente ». Le Seigneur continue de poser sa tente en nous, au milieu de nous : c’est le mystère de l’Incarnation. Le Verbe divin lui-même, qui est venu demeurer dans notre humanité, veut habiter en nous, planter en nous sa tente, pour illuminer et transformer notre vie et le monde.

La contemplation intense de Dieu, vécue par saint Paul, rappelle celle des disciples sur le mont Thabor lorsque, voyant Jésus transfiguré et resplendissant de lumière, Pierre lui dit : « Rabbi, il est heureux que nous soyons ici ; faisons donc trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie » (Mc 9, 5). « C'est qu'il ne savait que répondre, car ils étaient saisis de frayeur » ajoute saint Marc (v. 6). Contempler le Seigneur est à la foi fascinant et effrayant : fascinant, parce qu’il nous attire à lui et ravi notre cœur vers le haut, l’emportant jusqu’à sa hauteur où nous expérimentons la paix et la beauté de son amour ; effrayant, parce qu’il met à nu notre faiblesse humaine, notre inadéquation, notre difficulté à vaincre le Malin qui menace notre vie, cette écharde logée dans notre chair à nous aussi. Dans la prière, dans la contemplation quotidienne du Seigneur, nous recevons la force de l’amour de Dieu et nous sentons combien sont vraies les paroles de saint Paul aux chrétiens de Rome, lorsqu’il écrit : « Oui, j'en ai l'assurance, ni mort ni vie, ni anges ni principautés, ni présent ni avenir, ni puissances, ni hauteur ni profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur » (Rm 8, 38-39).

Dans un monde où nous risquons de ne compter que sur l’efficacité et la puissance des moyens humains, dans ce monde-là, nous sommes appelés à redécouvrir et à témoigner de la puissance de Dieu qui se communique dans la prière par laquelle, jour après jour, nous conformons davantage notre vie à celle du Christ, qui, comme l’affirme Paul, « a été crucifié en raison de sa faiblesse, mais il est vivant par la puissance de Dieu. Et nous aussi, nous sommes faibles en lui, bien sûr, mais nous vivrons avec lui, par la puissance de Dieu à votre égard » (2 Co 13, 4).

Cher amis, le siècle dernier, Albert Schweitzer, théologien protestant et Prix Nobel de la paix, affirmait que « Paul est un mystique, et rien d’autre qu’un mystique », c’est-à-dire un homme vraiment amoureux du Christ et tellement uni à lui qu’il pouvait dire : « Le Christ vit en moi ». La mystique de saint Paul n’est pas fondée seulement sur les événements exceptionnels qu’il a vécus mais aussi sur sa relation quotidienne et intense avec le Seigneur qui l’a toujours soutenu par sa grâce. La mystique ne l’a pas éloigné de la réalité, au contraire elle lui a donné la force de vivre chaque jour pour le Christ et de construire l’Eglise jusqu’au bout de la terre de son temps. L’union à Dieu n’éloigne pas du monde, mais elle nous donne la force de rester réellement dans le monde, de faire ce que nous devons faire dans le monde. Même dans notre vie de prière, nous pouvons donc avoir des moments d’intensité particulière, dans lesquels nous sentons peut-être plus vivement la présence du Seigneur, mais ce qui est important, c’est la constance, la fidélité de notre relation à Dieu, surtout dans les situations d’aridité, de difficulté, de souffrance, d’absence apparente de Dieu. C’est seulement si nous sommes saisis par l’amour de Dieu que nous serons capables d’affronter toutes les adversités comme Paul, convaincus que nous pouvons tout en Celui qui nous donne la force (cf. Ph 4, 13). Plus nous donnons d’espace à la prière, plus nous verrons notre vie se transformer et être animée par la force concrète de l’amour de Dieu. C’est ce qui est arrivé, par exemple, pour la bienheureuse Mère Teresa de Calcutta qui, dans la contemplation de Jésus et justement aussi dans ses longs temps d’aridité, a trouvé la raison ultime et la force incroyable pour le reconnaître dans les pauvres et dans les laissés-pour-compte, malgré son apparente fragilité. La contemplation du Christ dans notre vie ne nous laisse pas étranger, comme je l’ai dit, à la réalité, mais elle nous rend encore plus participants des expériences humaines, parce que le Seigneur, en nous attirant à lui dans la prière, nous permet de nous rendre présents et proches de chacun de nos frères, dans son amour. Merci.

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(*) "L'école de prière" est une série de catéchèses sur la prière donnée par Benoît XVI, en 2011-2012, dans le cadre des audiences du mercredi. Le pape y regroupe de façon systématique son enseignement sur la prière. Le présent texte est le trente deuxième de la série. Voir la liste des catéchèses présentées lors de ces audiences.

Source du texte: Le Saint Siège, Benoît XVI, Audiences, Mercredi 13 juin 2012,
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