par Roger Gauthier, o.m.i.
Les fêtes terminées, Jésus quitta Jérusalem le cœur gros. Il souffrait de n’avoir pas réussi, encore cette fois, à faire accepter sa mission par les pharisiens. Il nous amena au-delà du Jourdain où Jean-Baptiste avait préparé les foules à sa venue, là où le Père lui avait déclaré son amour. Il avait besoin de réentendre cette révélation dans le silence de son cœur pour s’assurer que ses échecs avec les pharisiens ne venaient pas d’une mauvaise compréhension de sa mission. Mais sa solitude n’a pas été longue : une foule de gens nous a envahis. Ils nous disaient : « Jean certes n’a opéré aucun signe, mais tout ce qu’il a dit de cet homme était vrai ».
Mon ami, en te rapportant toutes ces confrontations de Jésus avec les pharisiens, j’ai risqué de fausser l’image réelle que tu garderas de lui, comme c’était le cas chez plusieurs des disciples qui auraient souhaité un Jésus qui écrase ses ennemis sous sa puissance plutôt que de donner toujours priorité à l’amour. Pour ma part, sa tendresse m’était toujours présente, et je me considérais comme un privilégié de son cœur. D’ailleurs, mes compagnons me taquinaient en m’appelant le « disciple bien-aimé » et ça me plaisait. Pour moi, Jésus est un homme d’amour bien avant d’être un maître qui impose ses idées.
J’étais toujours ému de l’entendre parler avec tellement d’affection de ses amis chez qui nous nous arrêtions immanquablement quand nous passions dans les environs de Béthanie. Ils s’appelaient Lazare, Marthe et Marie.
Or il arriva que Lazare fut gravement malade; mais nous étions un peu loin de chez lui. Les deux sœurs envoyèrent un commissionnaire à Jésus avec un message qui faisait appel à son cœur : « Seigneur, celui que tu aimes est malade ». Sachant que Jésus les aimait beaucoup, nous fumes surpris de l’entendre nous dire, apparemment sans émotion : « Les gens d’ici ont encore grand besoin de m’entendre parler du Royaume; nous partirons dans deux jours. Je suis sûr que cette maladie ne se terminera pas mal. Mon Père la fera servir à sa gloire et c’est aussi par elle que son Fils sera glorifié ».
Quand nous avions entendu la nouvelle, nous étions devenus nerveux, car Béthanie est en Judée et nous devrions passer par Jérusalem pour nous rendre à Béthanie; or nous savions que les pharisiens attendaient Jésus avec une intention ferme de le faire disparaître. Nous espérions donc que Lazare guérisse sans qu’on y aille. Par ailleurs durant ces deux jours, nous sentions bien que Jésus pensait sans cesse à Lazare. Un matin, il nous dit : « Aujourd’hui, nous retournons en Judée ». Nous n’avons pu nous empêcher de lui souligner le risque qu’il prenait. Utilisant la parabole de la marche de jour ou de nuit, il nous expliqua que prendre un risque en sachant clairement dans son cœur pourquoi on le fait ne tournera jamais mal; mais que prendre un risque pour des raisons fausses mène nécessairement à l’échec. Il nous disait : « N’y a-t-il pas douze heures de jour? Si quelqu’un marche le jour, il ne trébuche pas parce qu’il voit la lumière de ce monde; mais si quelqu’un marche de nuit, il trébuche parce que la lumière n’est pas avec lui ». Pour lui, marcher à la lumière du jour voulait dire : prendre le risque par amour de ses amis.
Il pressa le départ : « Notre ami Lazare s’est endormi, mais je vais aller le réveiller ». L’un de nous vit là une excellente raison de ne pas aller en Judée : « Seigneur, s’il s’est endormi, il va certainement survivre ». En fait, Jésus avait voulu parler de la mort de Lazare, mais nous pensions à un sommeil naturel. Alors, Jésus nous dit ouvertement : « Lazare est mort et je suis heureux pour vous de n’avoir pas été là afin que votre confiance en moi grandisse encore. Partons! » Devant le manque d’élan de quelques-uns, Thomas que nous appelions ‘le jumeau’, fut saisi au cœur par l’audace de Jésus prêt à risquer sa vie pour un ami; il s’écria avec ferveur : « Allons, nous aussi, et nous mourrons avec lui ». Nous nous sommes mis en voyage.
Quand nous sommes arrivés sur place, Lazare était au tombeau depuis quatre jours déjà. Comme la famille de Lazare était très connue, même de Jérusalem, beaucoup de gens avaient fait le voyage pour venir consoler Marthe et Marie. Lorsque Marthe apprit l’arrivée de Jésus, elle vint tout de suite à sa rencontre avant même qu’il n’entre dans le village: elle l’avait tellement attendu pendant la maladie de son frère et, surtout, depuis sa mort. Quant à Marie, elle resta à la maison avec les gens venus sympathiser.
En arrivant à Jésus, Marthe ne put se retenir de lui faire un reproche affectueux pour sa lenteur à venir : « Si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort ». Mais elle laisse voir à Jésus sa totale confiance avec l’espoir que, peut-être, tout n’est pas fini pour Lazare : « Maintenant encore, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te le donnera ». Jésus répond en lui faisant la promesse que Lazare ressuscitera. Marthe craint de se faire une fausse joie et lui dit: « Oui, je sais qu’il ressuscitera lors de la résurrection au dernier jour ». Jésus ne voudrait pas que la joie d’une résurrection de Lazare soit attachée au seul bonheur d’une présence terrestre, mais qu’elle s’enracine avant tout dans l’espérance d’une entrée définitive dans la Vie. C’est pourquoi il ne dit pas clairement qu’il va redonner à ses sœurs un Lazare vivant; il dit : « Je suis la Résurrection et la Vie; celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela? » Marthe affirme de tout son cœur : « Oui, Seigneur, je crois que tu es le Christ, je crois que tu es le Fils de Dieu, celui qui est en mission pour sauver le monde ».
Mais son désir de retrouver tout de suite Lazare vivant n’est pas satisfait. Elle choisit alors d’augmenter la pression sur Jésus : elle va chercher sa sœur Marie que Jésus aime beaucoup; pour elle, il pourrait peut-être faire un miracle. Elle lui dit tout bas : « Le Maître est là-bas et il t’appelle ». Tout de suite, Marie part trouver Jésus encore à l’entrée du village, là où Marthe l’a rencontré. En la voyant partir aussi empressée, les amis venus la consoler la suivent, croyant qu’elle se rend au tombeau pour pleurer son frère. Lorsque Marie arrive à Jésus, elle se jette à ses pieds et lui dit sa souffrance de la mort de son frère, mais aussi son regret de ce qu’il n’ait pas été là pour le garder en vie : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort ». Devant une telle souffrance de Marthe et de Marie, que leurs amis soutiennent avec leurs lamentations, Jésus est profondément bouleversé et sous l’impulsion de sa tendresse, il demande : « Où l’avez-vous déposé? » On lui répond : « Seigneur, viens voir ». À ce moment, Jésus ne peut retenir ses larmes et tout le monde comprend à quel point il est capable d’aimer vraiment avec son cœur humain. Des gens se disent entre eux: « On voit combien il l’aimait! » Quelques-uns, moins sympathiques à Jésus, le critiquent : « S’il l’aimait tant que ça, lui qui a ouvert les yeux d’un aveugle, pourquoi n’a-t-il pas été capable d’empêcher Lazare de mourir? » Jésus frémit dans tout son être devant ce doute sur sa véritable amitié pour Lazare et ses deux sœurs. Il augmente le pas dans sa hâte d’arriver au sépulcre, une sorte de grotte avec une pierre qui en fermait l’entrée. Tout de suite, il commande d’enlever la pierre. Cette fois, Marthe hésite à espérer un miracle; elle déclare : « Seigneur, ça fait déjà quatre jours qu’il est là; il doit être déjà en décomposition et il va sentir mauvais ». C’est maintenant à Jésus de lui rappeler sa promesse qu’elle verrait la gloire de Dieu si elle a vraiment confiance en lui. On ôte donc la pierre.
Alors, Jésus se recueille et prie son Père devant tout le monde :
«Père, je te rends grâce
de ce que tu m’as exaucé.
Certes, je sais
que tu m’exauces toujours,
mais je parle haut maintenant
à cause de cette foule qui m’entoure,
afin qu’ils croient que tu m’as envoyé».
Ayant ainsi prié, il cria d’une voix forte : « Lazare, sors! » Et celui qui était mort sortit, les pieds et les mains attachées par des bandelettes et le visage enveloppé d’un linge. Tout le monde était stupéfié, même nous, car c’était la première fois que Jésus ressuscitait un mort sous nos yeux. Jésus nous a dit simplement : « Déliez-le et laissez-le vivre ».
___________
Source des images: Jean penché sur Jésus (détail d'une peinture de Valentin de Boulogne): Interbible;
Le Christ dans la maison de Marthe et Marie (détail d'une peinture de Jan Vermeer): Wikipedia;
Résurrection de Lazare (détail d'une peinture de Bloch): Wikipedia; Jésus rend grâce: KT42
< précédent |
suivant > |